Samedi, je suis allée faire mes courses à la Biocoop. Jusque là, rien de bien transcendant : mon réfrigérateur était vide, je suis donc allée faire des emplettes.
J’empoigne mon caddie, je sélectionne un petit chou, des panais, des patates douces, des radis, des asperges, des poireaux, des bananes, du poulet, de la saucisse, des céréales… Bref, je fais mes courses.
A la caisse, devant moi, une dame avec une petite fille et un caddie plus que plein. Du coup, j’en profite pour aller me chercher une petite courge, elle est jolie, je n’en ai jamais cuisiné des comme cela. De toute façon, c’est le week-end, j’ai le temps, j’attends patiemment. La dame règle, sa petite fille me sourit et me fait « au revoir » avec son lapin-doudou, les deux sortent lentement en poussant le chariot bien chargé.
C’est à mon tour de passer en caisse. Je rapporte mon petit caddie à l’entrée du magasin, je range mes emplettes dans mon petit sacacourses, je règle (et non ce n’est pas plus cher que le supermarché), je sors et je me dirige vers ma voiture.
Sur le petit parking, je retrouve la dame et sa petite fille qui remplissent le coffre de leur voiture. Je suis garée à côté d’elles.
Je les regarde, et je me rends compte que la dame est enceinte, elle a le ventre bien rond (un bon 6 mois à la louche). La petite regarde sa mère qui range un par un les items dans le coffre. Mais elle ne peut pas aider, elle est trop petite, elle pourrait se blesser. Le chariot est encore plus que plein. La dame a l’air de souffrir, elle procède lentement, sortant chaque item un par un pour le ranger dans le coffre. Elle a l’air complètement perdue, dépassée par la tâche.
J’ouvre le coffre de ma voiture, je demande à la dame si ça va. Elle a l’air gênée, elle me répond que oui, qu’elle prend son temps, elle me sourit. Je range mon sac dans la voiture, je referme mon coffre. Je me rends bien compte qu’elle ne s’en sort pas, qu’elle a l’air d’avoir des douleurs, son visage est fatigué, marqué par quelque chose qui n’a pas l’air du tout drôle.
Je lui demande si elle veut que je l’aide à ranger ses paquets. Elle est vraiment gênée, elle me dit qu’elle va s’en sortir. J’insiste un peu, c’est lourd pour elle, il fait chaud, il y a beaucoup de vent, elle pourrait se blesser ou attraper du mal, j’en aurais pour 5 minutes.
Finalement elle accepte, me demande si je peux lui mettre le paquet là qui est lourd à l’avant. Sauf que des gros paquets, il y en a plein. Je prends le « paquet lourd » (qui doit faire, en fait, genre 3kgs à tout casser), elle me demande si ça va, je lui répond qu’il n’y a pas de problème, j’ai déjà déménagé le futon d’une amie (celle au manteau orange) avec une entorse, je peux bien porter un paquet. Je lui souris. Je cale le paquet, sans rien lui demander je prend un des autres, je lui demande où je le mets, elle me dit que c’est pas la peine, qu’elle va se débrouiller, tout ça. Je lui réponds que quitte à y être, autant finir, il n’y en aura pas pour longtemps et cela ne me dérange pas, au contraire.
Je range donc ses paquets un à un dans sa voiture. Pendant ce temps, plusieurs personnes sortent de la Biocoop, de tous âges et de toutes conditions physiques, ils nous regardent avec un air à moitié dédaigneux pour les uns, plein de pitié pour les autres. Certains feront même semblant de ne pas nous voir. Aucun ne viendra porter main forte, même pour les 4 packs d’eau ou les 5L d’huile d’olive (en plein cagnard, avec un vent à décorner les bœufs) (je le répète).
Je finis de tout ranger, je vérifie que tout est bien calé dans le coffre et ne risque pas de se briser ou de bouger pendant le voyage (rien de pire qu’un truc qui se désolidarise du reste à cause d’un coup de frein**) . J’aide la petite fille à se mettre dans son siège enfant et à accrocher la ceinture de sécurité pendant que sa mère, plus que confuse apparemment, ramène le chariot vide.
Elle revient, me remercie plusieurs fois, elle me dit que « c’est rare et précieux les gens comme vous », elle pleure. Elle a l’air tellement fatiguée et tellement soulagée à la fois.
Je lui dit qu’elle peut rentrer tranquille, tout est bien accroché, de faire attention sur la route et que c’est normal d’aider quelqu’un dans le besoin, que ça me fait plaisir.
Tout le monde rentre dans sa voiture, un petit signe de la main pour se dire au revoir alors que 10 minutes avant on ne se connaissait pas, chacun met le contact et quitte le parking tranquillement.
Sur le chemin pour rentrer à mon appartement, je me demande si quelqu’un, à son retour, pourra l’aider à décharger le coffre. Je me demande si je n’aurais pas du lui proposer de boire un peu d’eau avant de prendre le volant. Je me demande si je n’aurais pas dû lui proposer de l’accompagner. Je suis contente de l’avoir aidée, je me rassure en me disant qu’elle a sans doute un mari qui l’attend et qui l’aidera. C’est ce que j’espère du moins.
Et depuis que je suis arrivée sur ce parking, face à une femme démunie, épuisée et en proie à des douleurs vraisemblablement terribles, des questions.
Dans quel monde vit-on pour laisser des gens qui ont besoin d’aide dans la merde ?
Dans quel monde vit-on pour que les gens pleurent de soulagement quand quelqu’un vient, enfin, leur prêter main forte ?
Dans quel monde vit-on pour que ceux qui ont besoin d’aide aient honte ou peur de demander ?
Dans quel monde vit-on pour que les gens vous regardent avec dédain ou pitié et restent dans leur confort ?
Dans quel monde vit-on pour que la compassion ait à ce point disparu ?
Parfois, j’ai honte de vivre dans ce monde là, où règne le « marche ou crève ». Mais je suis fière d’avoir fait ce geste altruiste. Et j’ai l’espoir, qu’après tout, nous ne sommes peut-être pas nombreux, mais qu’il existe d’autres personnes qui, comme moi, aideront leurs semblables en cas de problème, seront là pour apaiser une souffrance ou apporter un peu de réconfort.
« Qui sème le vent, récolte la tempête ».
Alors semons de l’amour, de la compassion, de l’empathie, de l’entraide.
* Cet article fait écho au (sublime) article de Gazelle sur la solitude de nos petits vieux. Si vous ne l’avez pas lu, vous pouvez le retrouver là. Et je vous invite sincèrement à le lire. Parce qu’on oublie trop souvent la réalité et la solitude auxquels sont confrontés nos aïeuls. Et qu’avec peu de choses, on peut faire beaucoup.
**Ça c’est du vécu. Se dire qu’on va crever parce qu’on s’est bouffé un fossé et que le chevalet de peinture risque de vous flinguer la nuque parce que vous le voyez arriver à toute vitesse dans le rétroviseur, je vous jure que c’est une drôle de sensation. Tout comme la valise qui a quitté le siège arrière pour vous percuter le dos. Après ça, on vérifie 25 fois que le coffre est rempli de manière intelligente. Et on ne met plus rien qui risque de bouger sur le siège arrière.